Q&R : Allégations de torture et de mauvais traitements à l’encontre de Palestinien.ne.s arrêté.e.s à Gaza

Les rapports sur l’utilisation de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants par les forces israéliennes à l’encontre des Palestinien.ne.s arrêté.e.s à Gaza se multiplient. Nous avons interrogé Natacha Bracq, conseillère juridique de DIGNITY, sur la qualification juridique de ces actes en droit international
Plusieurs médias internationaux et groupes de défense des droits humains ont fait état d’allégations de torture et de mauvais traitements à l’encontre de Palestinien.ne.s de Gaza. Que savons-nous de ces allégations ?

Depuis le 7 octobre 2023, les forces israéliennes ont arrêté et détenu arbitrairement des milliers de palestinien.ne.s, selon le Comité international de la Croix-Rouge. Le nombre exact est encore inconnu car les détenu.e.s sont privé.e.s de leur accès à un avocat. Ces arrestations ont visé sans discrimination des enfants, des femmes et des hommes civil.e.s, y compris des membres du personnel médical, des défenseurs des droits humains et des journalistes.

Après leur arrestation, les Palestinien.ne.s sont détenu.e.s dans divers camps militaires et prisons israéliens. Plusieurs personnes, qui ont été libérées sans inculpation, ont témoigné de diverses formes de mauvais traitements dont elles ont été victimes, y compris d’actes pouvant être assimilés à de la torture. Ces violations commises par les forces israéliennes incluent, entre autres, la détention au secret (incommunicado), le fait d’être déshabillé, d’avoir les yeux bandés et d’être menotté la plupart du temps. Les victimes décrivent également avoir été battues de manière répétée, électrocutées, brûlées avec des mégots de cigarettes, avoir été uriné dessus, humilié ou menacé de mort. Ces différentes formes de mauvais traitements sont connues pour avoir des conséquences physiques et psychologiques sur leur victime, comme le soulignent les fiches d’information de DIGNITY sur les conséquences de la torture sur la santé.

Les Palestinien.ne.s détenu.e.s dans les camps militaires sont souvent enfermé.e.s dans des cages en fer par temps froid. Ils/elles déclarent également ne pas avoir accès à des douches et avoir un accès limité ou inexistant à la nourriture et à l’eau. Les détenu.e.s blessé.e.s se sont également vu refuser l’accès à un traitement médical. Selon les experts en santé de DIGNITY, la privation de ces besoins fondamentaux peut causer des souffrances inutiles, aggraver leur état de santé et augmenter leur risque de contracter des maladies transmissibles. La privation de nourriture et d’eau potable a également des conséquences médicales et psychologiques directes.

Le nombre de Palestinien.ne.s détenu.e.s en Israël ne cessant d’augmenter, la surpopulation est également devenue un sujet de préoccupation. La surpopulation est associée à une série de conséquences sur la santé, en particulier un risque accru de maladies transmissibles et d’exposition à la violence.

L’ensemble de ces conditions peut entraîner des séquelles physiques chroniques ainsi que des conséquences sur la santé mentale telles que l’anxiété, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

Walid Anwar Yousif al-Khalili, secouriste de la Palestine Medical Relief Society (PMRS) arrêté dans l’exercice de ses fonctions, et Diaa Khalil Ahmed al-Kahlout, journaliste, ont tous deux témoigné des mauvais traitements qu’ils ont subis au cours de leur détention, respectivement, de 41 jours et 33 jours, en novembre et décembre 2023. Selon leur témoignage, ils ont subi des humiliations et ont été battus de manière répétée. Tous deux ont décrit avoir été soumis au Shabeh, une méthode de torture consistant à être attaché dans une position douloureuse pendant une période prolongée. Walid Anwar Yousif al-Khalili a eu les mains et les jambes enchaînées à une chaise jusqu’à ce qu’il « souhaite mourir pour être soulagé de la douleur et de l’agonie ». Diaa Khalil Ahmed al-Kahlout a eu les pieds et les mains liés et a été suspendu au plafond pendant six heures.

Plusieurs Palestiniens seraient également décédés alors qu’ils étaient détenus par Israël ; le nombre exact n’a pas été révélé par les autorités.

Ajith Sunghay, chef du bureau du HCDH dans le territoire palestinien occupé, a résumé la situation suite à son déplacement à Gaza :

»Au cours de mon séjour, j’ai pu rencontrer plusieurs détenus libérés. Ces hommes ont été détenus par les forces de sécurité israéliennes dans des lieux inconnus pendant 30 à 55 jours. Ils ont expliqué avoir été battus, humiliés, soumis à des mauvais traitements et à ce qui pourrait s’apparenter à de la torture (…)«.

Pourriez-vous nous expliquer les circonstances de leur arrestation ?

Les rapports montrent que l’armée israélienne procède à des arrestations massives, ciblant des individus dans leurs maisons, leurs lieux de refuge, les soi-disant »couloirs humanitaires«, ou dans la rue alors qu’ils fuient les bombardements et les attaques israéliennes. Plusieurs civil.e.s ne présentant aucun risque auraient été assassiné.e.s, même lorsqu’ils portaient des drapeaux blancs.

Des images et des vidéos diffusées par l’armée israélienne montrent des individus déshabillés, les yeux bandés, forcés de s’asseoir ou de s’agenouiller, endurant le froid dans la rue pendant une longue période avant d’être transportés vers des lieux inconnus.

Ayman Lubbad, un chercheur travaillant avec le Centre palestinien pour les Droits de l’Homme (Palestinian Center for Human Rights), était l’un des Palestiniens arrêtés et détenus. Il décrit un incident au cours duquel l’armée ordonne à tous les hommes, y compris les enfants, d’évacuer leurs maisons et de se rendre, pour ensuite être arrêtés.

Où sont détenu.e.s les Palestinien.e.s de Gaza ?

Ils/Elles sont détenu.e.s dans divers endroits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de Gaza, y compris dans plusieurs centres de détention israéliens tels que la prison Ketziot dans le désert du Néguev. La majorité d’entre eux/elles sont détenu.e.s dans diverses bases militaires, notamment la base militaire de Sde Teiman, près de Be’er Sheva, et le camp Anatot, où se déroulent les nombreuses violations présumées à l’encontre des détenu.e.s.

En décembre 2023, des amendements à la législation israélienne concernant les combattants illégaux ont considérablement prolongé la période pendant laquelle les Palestinien.ne.s arrêté.e.s à Gaza peuvent être détenu.e.s. . Les Palestinien.ne.s peuvent désormais être détenu.e.s jusqu’à 45 jours sans mandat d’arrêt officiel. Le délai pour obtenir un contrôle judiciaire a été porté à 75 jours, et l’accès à un avocat peut être refusé pendant une période pouvant aller jusqu’à 6 mois.

En conséquence, de nombreux Palestinien.ne.s arrêté.e.s ont été soumis.es à des disparitions forcées, laissant leurs familles et leurs représentant.e.s légaux.les sans aucune information sur le lieu où ils/elles se trouvent et sur leur sort. Le Comité international de la Croix-Rouge s’est également vu refuser l’accès aux détenu.e.s palestinien.e.s depuis le 7 octobre. Par conséquent, le sort de milliers de Palestinien.e.s arrêté.e.s par l’armée israélienne reste inconnu.

Il est important de noter que la politique d’arrestations massives, de torture et de mauvais traitements n’est pas limitée à Gaza au cours des derniers mois. De telles pratiques sont utilisées par Israël depuis des décennies dans l’ensemble du territoire palestinien occupé. Plusieurs organisations palestiniennes, israéliennes et internationales ont documenté ces méthodes.

Avant octobre 2023, 5 200 Palestinien.ne.s étaient déjà détenu.e.s dans les prisons israéliennes, dont 170 enfants et 200 Palestinien.ne.s de Gaza.

Les mauvais traitements infligés aux détenu.e.s palestinien.ne.s de Gaza constituent-ils des crimes au regard du droit international ?

Les rapports détaillant les actes commis par les forces israéliennes, y compris les arrestations et détentions arbitraires massives, ainsi que les nombreux cas de mauvais traitements et de torture depuis le moment de l’arrestation jusqu’à la libération, leur déportation vers Israël, ainsi que les cas de disparition forcée et de décès, indiquent, s’ils sont vérifiés, que plusieurs crimes au regard du droit international ont pu être commis.

DIGNITY est particulièrement préoccupée par les nombreux cas de mauvais traitements infligés aux Palestinienne.s. Ces actes peuvent constituer des actes de torture en tant que crime de guerre s’ils ont eu lieu dans le contexte du conflit armé. En outre, ils pourraient être considérés comme un crime contre l’humanité s’ils font partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population palestinienne. Enfin, ces actes pourraient également constituer une atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale en tant qu’acte de génocide s’ils ont été commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe palestinien.

En vertu du droit international humanitaire, du droit international des droits humains et du droit international pénal, Israël et les forces israéliennes ont l’obligation de prévenir la commission d’actes de torture, de s’abstenir de commettre des actes de torture et d’enquêter sur les auteurs de tels actes, de les poursuivre et de les punir.

Les victimes palestiniennes peuvent-elles obtenir justice ?

Les possibilités pour obtenir justice pour les Palestinien.ne.s sont quasiment inexistantes, ce qui permet de facto à Israël d’arrêter, de détenir et de torturer arbitrairement des Palestinien.ne.s en toute impunité. Des milliers d’incidents de torture et de mauvais traitements ont déjà été signalés aux autorités israéliennes et n’ont fait l’objet d’aucun enquête efficace à ce jour. Des Etats tiers n’ont pas non plus ouvert d’enquête sur la base de leur compétence extraterritoriale, même lorsque leurs propres citoyens étaient victimes.

Par conséquent, les tribunaux internationaux constituent le seul recours des Palestinien.ne.s.

En 2021, la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur des crimes présumés commis contre et par des Palestiniens depuis 2014. Toutefois, aucun mandat d’arrêt n’a été délivré à ce jour. Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a engagé une procédure contre Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), alléguant des violations de la Convention sur le génocide liées à des événements survenus depuis octobre 2023. Le 26 janvier 2024, la CIJ, ayant identifié des risques plausibles de génocide, a ordonné à Israël de prendre six mesures provisoires, mais il faudra peut-être des années avant que la Cour ne rende son arrêt définitif.

DIGNITY est profondément préoccupée par le traitement des Palestinien.ne.s de Gaza qui ont été arrêté.e.s et détenu.e.s par les forces israéliennes. Nous collaborons actuellement avec notre partenaire, le Centre palestinien pour les Droits de l’Homme, l’une des rares organisations de défense des droits humains encore opérationnelles à Gaza, afin de documenter les crimes présumés commis contre les Palestinien.ne.s depuis octobre 2023, en mettant l’accent sur les incidents de torture et de mauvais traitements. Nous nous attachons à développer leurs capacités grâce à l’expertise collective de notre équipe, composée d’avocats spécialisés dans la justice pénale internationale, de médecins et de psychologues. Notre approche comprend diverses interventions, notamment la fourniture d’une assistance technique, l’organisation de formations et d’ateliers pratiques, ainsi que l’assurance que nos partenaires adoptent des approches de documentation centrées sur les victimes et tenant compte des traumatismes.